J'ai trouvé amusant et intéressant puisque c'est d'actualité de proposer ici cet article.
(Lien source http://www.france-pittoresque.com/traditions/53.htm)
Si l'usage des étrennes nous vient des Romains (les premiers qui aient sacrifié à la déesse Strenna),
celui des cartes de voeux agrémentées de quelques mots de politesse ou
vierges de toute mention, et envoyées aux personnes avec qui l'on a eu
commerce d'amitié ou d'affaires pendant l'année, vient de
l'Extrême-Orient. Les Célestiaux se servaient bien avant nous de ces
cartes autrefois dénommées cartes de visite ; seulement, chez
eux, les cartes étaient de grandes feuilles de papier de riz, dont la
dimension augmentait ou baissait suivant l'importance du destinataire et
au milieu desquelles, avec des encres de plusieurs nuances, on écrivait
les nom, prénoms et qualités de l'envoyeur. Il paraît que, quand la
carte était à l'adresse d'un mandarin de 1ère classe, elle avait la dimension d'un de nos devants de cheminée !
La distribution des cartes de voeux à
Stuttgart, dans le Wurtemberg, était autrefois le prétexte d'une scène
piquante : pendant l'après-midi du premier de l'An, sur une place
publique, se tient une sorte de foire ou de bourse aux cartes de visite.
Tous les domestiques de bonne maison et tous les commissionnaires de la
ville s'y donnent rendez-vous, et là, grimpé sur un banc ou sur une
table, un héraut improvisé fait la criée des adresses. A chaque nom
proclamé, une nuée de cartes tombe dans un panier disposé à cet effet,
et le représentant de la personne à laquelle ces cartes sont destinées
peut en quelques minutes emporter son plein contingent. Chacun agit de
même, et, au bout de peu d'instants, des centaines, des milliers de
cartes sont parvenues à leur destination, sans que personne se soit
fatigué les jambes.
L'usage des cartes de visite du Nouvel An est apparu assez tard chez nous. Jusqu'au XVIIe
siècle, les visites se rendaient toujours en personne. On peut noter
cependant, comme un acheminement vers les cartes, l'usage dont nous
parle Lemierre dans son poème des Fastes et qui était courant
vers le milieu du grand siècle. A cette époque, des industriels avaient
monté diverses agences, qui, contre la modique somme de deux sols,
mettaient à votre disposition un gentilhomme en sévère tenue noire,
lequel, l'épée au côté, se chargeait d'aller présenter vos compliments à
domicile ou d'inscrire votre nom à la porte du destinataire.
Mais un temps vint où le gentilhomme
lui-même fut remplacé par la carte de visite. Cela se passa sous
Louis XIV, dans les dernières années de son règne, comme l'atteste ce
sonnet-logogriphe du bon La Monnoye :
Est-ce l'abus qu'on faisait des cartes de
visite qui décida les conventionnels à supprimer le premier de l'An ? Ou
fut-ce la vanité des voeux qu'on y déposait ? Toujours est-il qu'abolie
en décembre 1791, la coutume du Jour de l'An ne fut rétablie que six
ans après, en 1797. Nos pères conscrits, qui ne barguignaient pas avec
les délinquants, avaient décrété la peine de mort contre quiconque
ferait des visites, même de simples souhaits de jour de l'An. Le cabinet
noir fonctionnait, ce jour-là, pour toutes les correspondances sans
distinction. On ouvrait les lettres à la poste pour voir si elles ne
contenaient pas des compliments.
Et pourquoi cette levée de boucliers contre la plus innocente des coutumes ? Le Moniteur va nous le dire. Il y avait séance à la Convention. Un député, nommé La Bletterie, escalada tout à coup la tribune. « Citoyens,
s'écria-t-il, assez d'hypocrisie ! Tout le monde sait que le Jour de
l'An est un jour de fausses démonstrations, de frivoles cliquetis de
joues, de fatigantes et avilissantes courbettes... »
Il continua longtemps sur ce ton. Le lendemain, renchérissant sur ces déclarations ampoulées, le sapeur Audoin, rédacteur du Journal Universel, répondit cette phrase mémorable : « Le
Jour de l'An est supprimé : c'est fort bien. Qu'aucun citoyen, ce
jour-là, ne s'avise de baiser la main d'une femme, parce qu'en se
courbant, il perdrait l'attitude mâle et fière que doit avoir tout bon
patriote ! » Le sapeur Audoin prêchait d'exemple. Cet homme,
disent ses contemporains, était une vraie barre de fer. Il voulait que
tous les bons patriotes fussent comme lui ; il ne les imaginait que
verticaux et rectilignes. Mais enfin le sapeur Audoin et son compère La
Bletterie n'obtinrent sur la tradition qu'une victoire éphémère.
Ni le calendrier républicain ni les fêtes
instituées par la Convention pour symboliser l'ère nouvelle ne
réussirent à prévaloir contre des habitudes plusieurs fois séculaires.
Les institutions révolutionnaires tombèrent avec les temps héroïques qui
les avaient enfantées. Le premier de l'An fut rétabli. Il dure encore.
Les pouvoirs officiels lui ont donné leur consécration. Le Président de
la République reçoit, ce jour-là, dans les salons de l'Élysée, l'hommage
respectueux du corps diplomatique, des ministres et des grands corps de
l'État.
(Lien source http://www.france-pittoresque.com/traditions/53.htm)
Les CARTES DE VOEUX du Nouvel An
(D'après « Fêtes et coutumes populaires », paru en 1911)
(D'après « Fêtes et coutumes populaires », paru en 1911)
Si l'usage des étrennes nous vient des Romains (les premiers qui aient sacrifié à la déesse Strenna),
celui des cartes de voeux agrémentées de quelques mots de politesse ou
vierges de toute mention, et envoyées aux personnes avec qui l'on a eu
commerce d'amitié ou d'affaires pendant l'année, vient de
l'Extrême-Orient. Les Célestiaux se servaient bien avant nous de ces
cartes autrefois dénommées cartes de visite ; seulement, chez
eux, les cartes étaient de grandes feuilles de papier de riz, dont la
dimension augmentait ou baissait suivant l'importance du destinataire et
au milieu desquelles, avec des encres de plusieurs nuances, on écrivait
les nom, prénoms et qualités de l'envoyeur. Il paraît que, quand la
carte était à l'adresse d'un mandarin de 1ère classe, elle avait la dimension d'un de nos devants de cheminée !
La distribution des cartes de voeux à
Stuttgart, dans le Wurtemberg, était autrefois le prétexte d'une scène
piquante : pendant l'après-midi du premier de l'An, sur une place
publique, se tient une sorte de foire ou de bourse aux cartes de visite.
Tous les domestiques de bonne maison et tous les commissionnaires de la
ville s'y donnent rendez-vous, et là, grimpé sur un banc ou sur une
table, un héraut improvisé fait la criée des adresses. A chaque nom
proclamé, une nuée de cartes tombe dans un panier disposé à cet effet,
et le représentant de la personne à laquelle ces cartes sont destinées
peut en quelques minutes emporter son plein contingent. Chacun agit de
même, et, au bout de peu d'instants, des centaines, des milliers de
cartes sont parvenues à leur destination, sans que personne se soit
fatigué les jambes.
L'usage des cartes de visite du Nouvel An est apparu assez tard chez nous. Jusqu'au XVIIe
siècle, les visites se rendaient toujours en personne. On peut noter
cependant, comme un acheminement vers les cartes, l'usage dont nous
parle Lemierre dans son poème des Fastes et qui était courant
vers le milieu du grand siècle. A cette époque, des industriels avaient
monté diverses agences, qui, contre la modique somme de deux sols,
mettaient à votre disposition un gentilhomme en sévère tenue noire,
lequel, l'épée au côté, se chargeait d'aller présenter vos compliments à
domicile ou d'inscrire votre nom à la porte du destinataire.
Mais un temps vint où le gentilhomme
lui-même fut remplacé par la carte de visite. Cela se passa sous
Louis XIV, dans les dernières années de son règne, comme l'atteste ce
sonnet-logogriphe du bon La Monnoye :
Souvent, quoique léger, je lasse qui me porte ; Un mot de ma façon vaut un ample discours ; J'ai sous Louis-le-Grand commencé d'avoir cours, Mince, long, plat, étroit, d'une étoffe peu forte. Les doigts les moins savants me traitent de la sorte ; Sous mille noms divers, je parais tous les jours ; Aux valets étonnés je suis d'un grand secours ; Le Louvre ne voit pas ma figure à sa porte. Une grossière main vient la plupart du temps Me prendre de la main des plus honnêtes gens. Civil, officieux, je suis né pour la ville. Dans le plus dur hiver, j'ai le dos toujours nu, Et, quoique fort commode, à peine m'a-t-on vu Qu'aussitôt négligé je deviens inutile. |
Est-ce l'abus qu'on faisait des cartes de
visite qui décida les conventionnels à supprimer le premier de l'An ? Ou
fut-ce la vanité des voeux qu'on y déposait ? Toujours est-il qu'abolie
en décembre 1791, la coutume du Jour de l'An ne fut rétablie que six
ans après, en 1797. Nos pères conscrits, qui ne barguignaient pas avec
les délinquants, avaient décrété la peine de mort contre quiconque
ferait des visites, même de simples souhaits de jour de l'An. Le cabinet
noir fonctionnait, ce jour-là, pour toutes les correspondances sans
distinction. On ouvrait les lettres à la poste pour voir si elles ne
contenaient pas des compliments.
Et pourquoi cette levée de boucliers contre la plus innocente des coutumes ? Le Moniteur va nous le dire. Il y avait séance à la Convention. Un député, nommé La Bletterie, escalada tout à coup la tribune. « Citoyens,
s'écria-t-il, assez d'hypocrisie ! Tout le monde sait que le Jour de
l'An est un jour de fausses démonstrations, de frivoles cliquetis de
joues, de fatigantes et avilissantes courbettes... »
Il continua longtemps sur ce ton. Le lendemain, renchérissant sur ces déclarations ampoulées, le sapeur Audoin, rédacteur du Journal Universel, répondit cette phrase mémorable : « Le
Jour de l'An est supprimé : c'est fort bien. Qu'aucun citoyen, ce
jour-là, ne s'avise de baiser la main d'une femme, parce qu'en se
courbant, il perdrait l'attitude mâle et fière que doit avoir tout bon
patriote ! » Le sapeur Audoin prêchait d'exemple. Cet homme,
disent ses contemporains, était une vraie barre de fer. Il voulait que
tous les bons patriotes fussent comme lui ; il ne les imaginait que
verticaux et rectilignes. Mais enfin le sapeur Audoin et son compère La
Bletterie n'obtinrent sur la tradition qu'une victoire éphémère.
Ni le calendrier républicain ni les fêtes
instituées par la Convention pour symboliser l'ère nouvelle ne
réussirent à prévaloir contre des habitudes plusieurs fois séculaires.
Les institutions révolutionnaires tombèrent avec les temps héroïques qui
les avaient enfantées. Le premier de l'An fut rétabli. Il dure encore.
Les pouvoirs officiels lui ont donné leur consécration. Le Président de
la République reçoit, ce jour-là, dans les salons de l'Élysée, l'hommage
respectueux du corps diplomatique, des ministres et des grands corps de
l'État.